
Bonjour,
Aujourd’hui je t’écris ces mots pour te parler de moi, de lui, de nous. Ce soir j’ai fait au mieux pour être digne de toi, digne de nous, digne des enseignements que tu m’as légués. Je n’ai pas pleuré, non maman je n’ai versé aucune larme. Il y a bien longtemps qu’elles ont quitté mes yeux. Au fond je suis devenue un spectre, les spectres ne pleurent pas. ils errent dans ce monde comme des damnés. Je suis cette âme perdue qui habite un corps meurtri par les coups. Mon enveloppe humaine parcourt les rues de Brazzaville en quête de paix. Maman ce soir j’ai voulu tenir pour toi, me battre pour tes valeurs car une femme est mwéssé. Mais sur ce plancher de cuisine, j’ai perdu le combat, non plutôt la guerre de ma vie.
Je l’ai rencontré dans un restaurant après près d’un an de discussions soutenues sur internet. Il avait des doigts très fins et clairs, plus clair que son visage. Sa barbe fournie lui donnait des airs d’homme assez âgé, mais sa voix d’enfant me ramenait à la réalité et contrastait avec sa carrure. Je n’aimais pas ses lunettes, elles cachaient ce qu’il y avait de plus beau en lui : ses yeux. Si les yeux sont réellement le reflet de l’âme, alors je voulais me plonger dans les abysses des siens. Je ne me rappelle plus sur quoi portait notre conversation mais je me souviens de sa main sur ma cuisse dénudée. J’avais ressenti un frisson parcourir mon être tout entier. Mon cœur m’a alors dit «c’est lui celui que nous attendions».
Infini fait partie de ces hommes qui possèdent cette aura incroyable ; de ces hommes qui illuminent les pièces dans lesquelles ils se trouvent. C’ est cet homme dont la présence a éclairé ma vie. Au cours du temps, il est devenu mon infini, sais-tu pourquoi ? Tout comme en maths, un ensemble infini est un ensemble qui a des éléments qu’on ne peut quantifier, mon amour pour lui était incommensurable. Cet homme je pourrais parler de lui des heures entières mais il ne me reste que quelques minutes et je sens les ténèbres m’envahir.
Il m’a rendu heureuse maman, il a fait de moi une femme comblée et enviée par mes amies, du moins la première année de notre union . Nos nuits d’amour étaient intenses, faire l’amour prenait tout son sens dans ses bras. Mes journées au travail loin de lui étaient une véritable torture. Je ne vivais que pour lui, mon essence lui était dédiée.
Maman, te souviens-tu de Leîla ? Ma meilleure amie qui vit désormais en France. Le jour de son retour, nous avions traîné dans les bars de bacongo. C’était la première fois que je rentrais à 22h depuis notre union. Infini m’avait frappé, non comme tu le dis plutôt, il m’avait corrigé car je n’avais pas été une bonne épouse. Et ce malgré la présence de mini infini dans mon ventre. Dans la nuit il avait passé de la pommade sur mes équimoses. Il m’avait également demandé de lui pardonner et m’avait rappelé qu’il était fou de moi. Infini m’avait supplié en pleurant de ne plus faire sortir ce qu’il y avait de pire. Mwéssé je dois être , m’avais-tu dit, pardonne moi d’avoir failli à ma mission.
Mwéssé « tu dois être en tout temps ma fille , sache que l’homme est le chef de famille, tu lui dois soumission et obéissance. Que tes longues études ne te trompent pas, Mwéssé sois tu pour lui faire oublier ses journées difficiles » m’avais tu dit le jour de ma dot. ! Ses mots résonnaient en moi allongée dans ce lit d’hôpital trois mois plus tard. Ma peau était passée de sa couleur ébène au violacé. Il y avait aussi cette coupure sur le front, sûrement provoquée par la boucle de la ceinture que j’avais reçue sur mon visage. Mon œil enflé, virant au noir, était les vestiges du passage de son poing sur mon visage. Le médecin m’avait dit que j’avais 4 côtes brisées. La douleur était intense, mais elle était supportable comparée à celle plus profonde : la blessure de l’âme.
Je regardais mon ventre fixement, et les larmes coulaient sans s’arrêter. Il avait cessé de grandir en moi, Infini m’avait corrigé un peu trop fort. Comment se remet-on d’une douleur aussi forte maman ? De quelle manière gueri t-on la blessure de perdre son enfant ? Comment pourrais-je être mwéssé quand mon cœur est en lambeaux ? Tu m’as simplement demandé de lui pardonner et de ne plus rentrer tard, des enfants ? Il m’en donnera d’autres bien évidemment. Le temps fera son travail et guérira mes peines. Alors pourquoi après plus d’un an, mon cœur saigne toujours en pensant à mini infini ? Il aurait été majestueux comme son père, aussi beau que lui, mais je lui aurais appris à ne jamais lever la main sur qui que ce soit. Son cœur aurait été amour et paix.
En allant à son travail, Infini m’a vu déjeuner avec mon stagiaire dans un restaurant de la place, il m’a appelé et m’a promis une correction en rentrant. Je t’ai appelée maman pour te demander de passer la nuit chez toi car je pouvais sentir à des kilomètres sa colère…Il ne m’avait jamais dit autant d’horreurs, maman. Tu m’as juste répondu que le mariage était pour le meilleur et pour le pire. Qu’il fallait que j’apprenne à canaliser mon homme, après tout, je suis une « vraie » femme africaine.
Aussi, paraît-il que ce n’est pas normal que je déjeune avec des hommes sur mon lieu de travail. J’étais une honte pour toi, mwéssé je devais demeurer. J’ai fait comme tu me l’as conseillé maman, j’ai porté ma plus belle robe et fait sortir ma plus belle vaisselle. Les bougies parfumées jonchaient la table tandis que les pétales de fleurs séchées étaient au sol.
Infini fit son entrée, toujours aussi magnifique qu’au premier jour où je l’avais rencontré, son regard toujours aussi profond. Il s’était arrêté à mon niveau et m’avait pris dans ses bras. Nous avions mangé entre rires et blagues. J’avais enfin retrouvé l’homme de mes rêves, j’avais retrouvé ce sourire qui a toujours réchauffé mon esprit, cet homme était mon tout. Il s’installa sur le fauteuil, me demandant de me tenir à ses côtés. S’en était suivi d’une avalanche de gifles.
“Mwessé tu dois être en tout temps”, cette phrase tournait en boucle dans ma tête et m’aidait à tenir maman. Il a seulement fallu quelques minutes avant qu’il ne se retrouve au-dessus de moi. Il me donna des coups de poing dans mon ventre m’accusant de porter l’enfant d’autrui. Sa mission ce soir était de nous en débarrasser. Il ne sera pas l’homme qui elevra le batard de sa femme. Je le suppliais d’arrêter et je me protégeais hope ? du mieux que je pouvais.
Ma petite fille aurait dû vivre, elle n’avait même pas vu le jour qu’elle était déjà une lionne. Elle avait survécu à 6 mois de violences conjugales. Ce soir, ce serait à moi de me battre pour elle, pour lui, pour nous.
Je saisis le pot de fleur qui était à portée et le brisa sur sa nuque. Ensuite les flots de sang coulaient le long de son corps et terminaient leurs courses sur ma robe. La magnifique robe blanche qu’il m’avait offert à l’annonce du sexe de notre enfant. Nous étions tellement heureux ce jour-là, il a toujours voulu une fille et moi un garçon. Notre petite bouille serait l’amour de sa vie. “Choupette, tu as une concurrente de taille là, la vraie femme de ma vie est enfin là” m’avait-il dit les yeux scintillant de bonheur. Je donnerai tout pour le voir toujours aussi heureux. Elle se serait appelée Hope parce qu’elle serait porteuse d’espoir pour notre couple.
Je m’étais réfugiée dans la douche, assise sur le sol, je chantais des chansons à Hope . Elle devait être effrayée, je ne la sentais plus bouger. « Emmène-moi à l’hôpital je t’en prie infini, Hope doit vivre” criais-je de toutes mes forces. Le temps que je finisse ma phrase, il se tint devant moi, ses 97 kilos de muscles pour 1m90 de long avaient eu raison de la porte. Il me traîna par les pieds jusque dans la cuisine, déchirant cette pièce de créateur. Le temps s’était arrêté, on aurait dit que ce soir il avait mis plus que ses 20 minutes habituelles. “Hope doit vivre infini” n’arrêtais je pas de répéter, “Hope doit vivre”.
Faire l’amour peut faire mal maman, faire l’amour peut briser ton âme. Une fois tu m’avais dit, ma fille sache que le viol n’existe pas dans le mariage, juste l’amour sauvage. Ne refuse jamais ce présent de Dieu à ton mari. Mais ce soir, l’amour sauvage venait de me consumer. J’ai cessé de ressentir quelque chose à ce mon précis, la douleur ou la colère avait disparu. Hope devait survivre maman. Il se releva et cracha sur moi, était-ce que j’étais devenue : un débris sur lequel on pouvait cracher ? Je me devais de me relever car Hope méritait la vie, ce sang émanant de moi était signe que je la perdais, je me devais d’aller la sauver. J’avais peut-être failli dans mon mariage mais je ne faillirai pas une seconde fois en laissant mourir mon enfant.
Je couru vers la porte quand infini me tira par les cheveux dans la cuisine. Il frappa ma tête contre tous les meubles de la cuisine et mit mes joues sur la plaque qu’il venait d’allumer. C’est ironique comment mwessé peut se brûler, mwéssé étant chaleur n’était-il pas éternel ? Il y avait un couteau dans l’évier, je le pris le planta, une fois, deux fois, trois fois…
Sur ce plancher de cuisine j’ai perdu le combat, non plutôt la guerre de ma vie. Je suis assise sur le sol baignant dans nos sangs mêlés, stylo à la main. Infini est allongé à mes côtés, son visage a l’air si paisible. Ce sera surement le dernier souvenir que j’emporterai avec moi. Ne m’oublie pas maman, ne m’oublie pas s’il te plait. Rappelle-toi que j’ai été mwéssé autre fois. Je n’ai plus de force, je sens les ténèbres m’emporter avec eux, comme ils ont emporté infini, mini infini et Hope. Je ne vois presque plus, tout devient si noir et mon souffle me quitte peu à peu. Aujourd’hui, j’ai perdu le combat de ma vie mais je veux vivre dans tes souvenirs. Je serai bientôt dans le noir complet mais sache que je te…
mwéssé : soleil (en langue mbochi)
chat
Infini.. Curieux ce personnage. Peut-on dire qu’il aimait bien Mwessé ?
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